En 2015, le « pari scientifique » Écolitt, associant les laboratoires des universités de Nantes, Angers et Le Mans, consistait à se demander si, en dehors des États-Unis où l’éco-critique s’est constituée en champ de recherche littéraire, il pouvait exister d’autres types de littératures prenant en compte les questions environnementales. La question se pose pour l’Europe mais elle s’impose encore davantage pour l’Asie, le continent qui contribue le plus aujourd’hui à la dégradation de l’environnement, mais qui subit aussi les conséquences les plus sévères de la pollution mondiale. S’il y a une spécificité, ne serait-ce que de degré, caractérisant la situation et l’évolution de l’environnement en Asie, on peut supposer que les expressions artistiques asiatiques mais aussi, en conséquence, les approches critiques les concernant ne doivent pas être conçues uniquement sur le modèle occidental.
Ce numéro de la revue Atlantide rassemble les articles de chercheurs spécialisés dans les domaines indien et chinois (la Chine étant représentée par le continent d’une part et Taïwan d’autre part), qui étudient des textes et des films témoignant d’« imaginaires de l’environnement en Asie ». Les œuvres étudiées s’emploient tout d’abord à décrire les méfaits environnementaux, comme la catastrophe de Bhopal en Inde, la contamination des rivières en Chine ou le continent de plastique parvenant sur la côte taïwanaise. De façon plus ou moins explicite, les auteurs, romanciers et réalisateurs, entendent dénoncer ceux qui sont à l’origine de ces atteintes à l’environnement, qu’il s’agisse de responsables locaux ou de pays extérieurs, en particulier certains pays occidentaux. Mais, au-delà d’une logique de vindicte à l’échelle régionale ou bien mondiale, c’est un système global que l’on remet en cause, qu’on y voie une tendance à placer l’Asie dans une position subalterne ou, à tout le moins, d’imitatrice d’un modèle occidental, ou que l’on s’inquiète, plus généralement, des conséquences à grande échelle issues de l’ère anthropocène.
Néanmoins, on n’a pas seulement affaire à une littérature militante, cultivant une tonalité « post-coloniale » ou simplement écologique. Les contributions traitent d’œuvres qui, pour la plupart, se caractérisent par leur ambiguïté. En effet, loin de reprendre aux Occidentaux leurs modèles de protestation, les auteurs étudiés développent un discours plus complexe : il s’agit le plus souvent de replacer les questions environnementales urgentes et actuelles dans une perspective culturelle de long terme, qui englobe en particulier l’héritage mythologique ou mythique.
Table des matières
- AVANT-PROPOS – PHILIPPE POSTEL
- YVAN DANIEL - Les pastorales parallèles. Sur les rapports entre littérature comparée et écocritique
- SHIH-LUNG LO - « Le peuple chinois a atteint le moment le plus dangereux » : l’imaginaire de l’environnement dans les œuvres dramatiques de Tian Han
- LUISA PRUDENTINO - Rôles et fonctions de la nature dans le cinéma chinois
- CLAUDINE LE BLANC - L’arbre en fleurs et la catastrophe : imaginaires indiens de l’environnement
- ELENA LANGLAIS - « Animal’s People » d’Indra Sinha : de la catastrophe à son dépassement
- PHILIPPE POSTEL - Entre ciel et terre : l’homme et la nature dans les romans de Yan Lianke
- GWENNAËL GAFFRIC - L’ordinaire des catastrophes. Lecture écocritique de l’écrivain taïwanais Wu Ming-yi
- TI-HAN CHANG - Éco-terrorisme ou éco-héroïsme ? Analyse littéraire de « The Rice Bomber » de Cho Li basée sur l’autobiographie de Yang Ju-men
Revue en accès libre : http://atlantide.univ-nantes.fr/