Petite forme tant par ses dimensions que par sa place dans les hiérarchies esthétiques traditionnelles, le conte, qui a progressivement conquis ses lettres de noblesse depuis l’époque moderne, se caractérise par une étonnante plasticité. Nombreuses sont les variations auxquelles peut donner lieu une même trame narrative, tant dans ses versions orales qu’écrites, lettrées que populaires. Les contes italiens de la Renaissance et de l’âge baroque ou ceux pratiqués dans les salons français des XVIIe et XVIIIe siècles en témoignent tout autant que les textes colportés à la même époque, notamment dans la « Bibliothèque bleue », ou collectés plus tard, à la suite des frères Grimm, dans les traditions du folklore européen. Par ailleurs, la même histoire peut être actualisée dans des productions scéniques qui lui confèrent une nouvelle forme d’oralité performative. On peut penser, par exemple, aux « comédies fiabesques » de Carlo Gozzi et à leur postérité musicale dans les œuvres de Prokofiev ou Puccini, ou bien au succès de figures comme Cendrillon et Barbe Bleue sur les scènes lyriques, pour citer quelques exemples classiques. Ce foisonnement ne se dément pas à l’époque contemporaine : le conte continue de susciter nombre de réécritures sous la plume d’écrivains aussi divers que, par exemple, Robert Walser, Tommaso Landolfi, Italo Calvino, Roald Dahl, Elfriede Jelinek ou Howard Barker ; il nourrit aussi de nouvelles pratiques de contage et fait l’objet de réappropriations par le spectacle vivant, qui présente les héros du répertoire aux côtés de Chaperons, loups et marâtres réinventés.
En écho à la vitalité des reconfigurations auxquelles s’offrent les contes, les recherches contemporaines accordent une place centrale au dialogisme et à l’intermédialité, repensant du même coup l’articulation entre l’oral et l’écrit, le populaire et le savant. Si Ruth Bottigheimer insiste sur la transmission écrite en ce qui concerne le domaine spécifique du conte de fées européen (Fairy Tales. A New History, New York, 2009), Catherine Velay-Vallantin avait souligné auparavant, dans une perspective générique plus large, la part de recréation sans cesse à l’œuvre dans la transmission orale (Histoire des contes, Paris, 1992), idée reprise par Patricia Eichel-Lojkine qui souligne l’interaction de la parole et de l’écrit dans la circulation des contes (Contes en réseaux, 2013). Ce rôle de l’oralité, saisi dans un contexte ancien d’alphabétisation restreinte, peut aussi être examiné dans le monde contemporain marqué par la multiplication des supports médiatiques.
Les spécialistes du conte littéraire n’ont pas manqué, de leur côté, de poser la question des sources et d’analyser, pour les réévaluer, des effets d’intertextualité particulièrement foisonnants, comme en témoignent notamment, dans le domaine des études françaises, les recherches pionnières de Raymonde Robert ou le travail éditorial accompli au sein de la « Bibliothèque des génies et des fées » chez Honoré Champion. En Allemagne, la notion de conte populaire (Volksmärchen) a été liée par les figures tutélaires du genre que sont les frères Grimm à l’idée de poésie de nature (Naturpoesie) et à la question de l’identité nationale dans une perspective anhistorique. Mais les recherches des dernières décennies, en particulier les études génétiques menées par Heinz Rölleke, ont profondément renouvelé le regard porté sur les Contes de l’enfance et du foyer, recueil longtemps considéré comme un modèle de fidélité à une tradition orale immémoriale. Au regard du travail stylistique accompagnant le passage de la collecte au livre, dans ses diverses versions, les Contes des frères Grimm apparaissent aussi comme une œuvre réécrite selon une esthétique et des enjeux historiquement repérable. Comme le note encore Patricia Eichel-Lojkine, il s’agit donc aujourd’hui tout autant d’éclairer le rapport à des types et à des sources que de replacer les contes dans le contexte de leurs diverses actualisations, en dépassant l’opposition entre recherche de structures fixes et histoire des variations pour étudier ensemble la généalogie des textes et leur inscription parmi les multiples discours propres à telle ou telle époque.
Notre colloque s’inscrit dans la perspective de ce dialogisme qui reconsidère les rapports entre culture populaire et culture savante comme les rôles respectifs de l’écriture et de l’oralité, celle du contage autant que celle des performances scéniques. Son objectif est de rendre compte de façon pluriculturelle et diachronique de la plasticité du conte et de son aptitude à prendre en charge jusqu’à l’époque contemporaine des problématiques esthétiques et idéologiques diversifiées. On réfléchira notamment aux aspects suivants :
• les enjeux esthétiques et idéologiques des réécritures littéraires (évolutions génériques, rapport au merveilleux, tournant fantastique ; identités sexuelles et identités sociales entre tradition et subversion, entre autres exemples) ;
• les moyens et effets de l’intermédialité dans les performances scéniques, la réoralisation des contes ;
• l’évolution du rôle des contes dans la mémoire culturelle (appropriations de références devenus patrimoniales par des publics variables et selon des pratiques diversifiées, notamment à travers la culture scolaire ; lien avec la question des identités collectives, dans un contexte occidental aussi bien que post-colonial).
Comité scientifique :
David Chaillou, MCF en Musique, Université d’Artois / ESPE Nord – Pas de Calais, et compositeur ; Clément Dili Palaï, PR en Langue et littérature française, Universités de Maroua, Cameroun ; Béatrice Ferrier, MCF en Langue et littérature française, Université d’Artois / ESPE Nord – Pas de Calais ; Arnaud Huftier, MCF en Littératures comparées, Université de Valenciennes ; Evelyne Jacquelin, MCF en Études germaniques, Université d’Artois ; Marc Lacheny, MCF HDR en Études germaniques, Université de Valenciennes ; Isabelle de Peretti, MCF en Sciences de l’éducation, Université d’Artois / ESPE Nord – Pas de Calais ; Catherine de Wrangel, MCF HDR en Italien, Université de Nantes.