Notre objectif est d’associer pour la première fois l’utilisation des nouvelles technologies du numérique (plus précisément l’édition électronique de sources et ce qu’on appelle les Digital humanities) à l’analyse génétique et à l’édition des différentes sources et écritures employées dans le processus créatif d’un opéra. Cette combinaison permettra de développer différents schémas d’analyse et de renouveler l’étude des œuvres opératiques grâce à l’apport des outils numériques. Notre démarche scientifique à la fois théorique et technique est de renforcer la pluridisciplinarité et la transversalité des approches et de parfaire nos principes d’analyse pour le domaine artistique, et en
particulier pour l’art lyrique.
Afin d’approcher au plus près l’origine d’une oeuvre, la pensée qui la fonde et le processus créatif qui la fait naître, il nous faut considérer sa genèse dans toute sa complexité. Le texte, entendu comme ensemble fermé – dans notre cas partition et livret – s’enrichit de l’ensemble ouvert du processus
d’écriture. Ici la plurivocalité est essentielle à la création lyrique. Analyser l’oeuvre d’un créateur d’opéra, c’est prendre en compte l’ensemble des voix qui ont permis sa création. C’est encore prendre en compte l’élaboration de la partition et du livret, des matériaux littéraires, visuels, cinétiques avant
représentation et des possibles réécritures résultant d’expériences de scène qui viennent augmenter le dossier génétique de l’oeuvre.
Si la pluralité est élément fondateur de la création opéristique, elle n’est en rien figée ; preuve en est, son évolution importante dans l’histoire de l’opéra, en particulier dans la crise qui a frappé cet art au début du XXe siècle. Parfois le compositeur devient auteur, les rapports entre compositeur et éditeur
se modifient, le rôle du scénographe se fait plus prégnant. Si l’on considère les écritures (livret, musique, mise en scène), ces dernières peuvent disparaître ou fusionner selon différents modèles qui n’ont plus rien à voir avec les règles de la représentation qui avaient court avant la Seconde Guerre
mondiale. Face à cette crise, l’organisation duelle de l’ossature génétique mêlant création et réception propose un modèle d’analyse dynamique encore à développer.
L’apport du numérique dans la théorie génétique provoque toutefois des changements quantitatifs et qualitatifs dans l’analyse des processus créatifs. Notre intention est de développer, à partir d’un travail de structuration et d’élaboration du dossier génétique d’oeuvre lyrique prêt à être présenté au théâtre, une méthodologie originale d’édition génétique électronique des sources de l’oeuvre, qui puisse servir à la compréhension de tout processus de création dans ce domaine. Cette démarche produira des concepts, des méthodes et des techniques propres qui permettront de repenser l’ensemble du patrimoine que représentent, pour un opéra, tous les documents conservés dans les collections et archives des théâtres (manuscrits, tapuscrits, livrets, partitions, éditions, traductions, carnets, correspondances, dossiers de mise en scène, photos de scène, comptes, maquettes, enregistrements, vidéos, films, etc.).
Cette recherche s’appuiera sur l’analyse des archives des théâtres Graslin et de la Renaissance (aujourd’hui détruit) conservées aux archives municipales de Nantes. Cette ambition scientifique, au travers ces exemples, demande au préalable un conséquent travail d’analyse : analyser les documents autographes ou imprimés pour comprendre les mécanismes de la production, élucider la démarche des auteurs et les procédures qui ont permis l’émergence de l’oeuvre, mesurer les allers/retours entre les écritures (livret, musique, scénographie), écouter et lire en même temps, préciser les évolutions
individuelles et collectives au sein du processus créatif.
Digitally Editing the Theatrical Sources of Lyric Operas
Our objective is to apply, for the first time, new digital technologies (specifically the electronic edition of source-texts and what is known as Digital Humanities) to the genetic analysis and edition of the many source-texts, and fragments of writing, generated during the creative process of an opera. This combination will allow us to develop novel conceptual frameworks and to renew the study of operatic works through the input of digital tools. Our scientific approach is both theoretical and technical ; our aim is to strengthen the multidisciplinary and transversal aspects of our research, and to adapt our principles of analysis to the artistic field in general, and to lyric art in particular. If we are to understand the origins of a work as clearly as possible, we must consider the full complexity of its genesis, including the underlying though patterns and the creative process that brought it into being. To the finalized and “closed” text, – in our field the score and the libretto, – we may add the enriching study of the open, creative process of writing. Indeed, the superposition of voices is an essential part of lyrical creation. Analysing the work of an opera composer implies factoring in the many other voices that took part in the creative process. We must consider the drafting of the score and the libretto, the literary, visual and kinetic material required before a performance, as well as the rewritings that may have occurred after stage rehearsals ; all these elements enhance the opera’s genetic textual file. Although vocal plurality has always been fundamental to operatic creation, it has by no means played a static role ; on the contrary, this dimension has evolved throughout the history of opera, and especially during the crisis undergone by the genre at the beginning of the 20th century. The composer sometimes takes on the role of the author, or the relationship between composer and editor changes, or the set designer gains more prominence. If we only study the written texts (libretto, score, production notes), they tend to disappear or to fuse together into models that do not concord with the rules of staging in vogue before the Second World War. Faced with this problem, the elaboration of a double genetic framework, combining both creation and reception theory, creates a dynamic structure of analysis that may yet be developed further. However, the input of technology in genetic theory leads to quantitative and qualitative changes in the analysis of creative processes. Our intention is to develop – through the primary task of structuring and transcribing the source material of a completed opera – an innovative method for digitally editing its genetic sources and thus allowing us to understand the whole creative process. This approach will engender new concepts, methods and techniques, and it will enable us to re-evaluate the legacy of documents preserved in theatrical collections and archives (including manuscripts, typescripts, librettos, scores, editions, translations, notebooks, mail, staging instructions, photographs of the staging, accounts, models, records, videos, films, etc.). Our research will be based on the analysis of archives from the Théâtre Graslin and the Théâtre de la Renaissance (which is no longer standing), preserved in the municipal archives of Nantes. As we have mentioned, our scientific ambitions require considerable preliminary analyses : we must study handwritten and typed documents to understand production mechanisms, elucidate the authors’ approach to their work and the procedures that went into the act of creation, measure the amount of interaction between the texts (libretto, score and scenography), read and listen to them simultaneously, so as to clarify the individual and collective changes that took place within the creative process.