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Appel à communication

Journée d’étude « Sexualités lesbiennes : mythes et représentations »

Date limite de soumission : 15 mars 2024

vendredi 15 mars 2024, par Nathalie Grande

Une simple étude terminologique nous permet de réaliser que notre vision de l’homosexualité féminine s’est construite autour de mythes et de représentations culturelles. En effet, « lesbianisme » comme « saphisme » renvoient à des lointains spatiaux et temporels en évoquant des rivages de la mer Égée chauffés par le soleil d’une Antiquité dont les liens avec l’homosexualité féminine sont au moins en partie fantasmés. Ces références sont liées à la représentation que l’on se fait de la poétesse Sappho et de la ville où elle a vécu, dont sont issus les termes précédemment évoqués. Mais faut-il plaquer notre conception contemporaine de l’homosexualité féminine sur une société du VII ͤ et VI ͤ siècles avant Jésus-Christ, avec les relations qui la constituaient ? Platon dans Le Banquet reprend le mythe des origines selon lequel existaient trois genres, un féminin, un masculin et un androgyne, aujourd’hui disparu. L’union sexuelle avec l’autre était mue par le désir de recouvrer son unité corporelle primitive, bisexuée. Nathalie Ernoult, dans « L’homosexualité féminine chez Platon » (Revue française de psychanalyse, n° 58, 1994, p. 209-210) examine comment l’interprétation de ce mythe a évolué et comment Freud en tronque le contenu dans son chapitre sur « Les déviations se rapportant à l’objet sexuel » dans Trois Essais sur la théorie sexuelle (Sigmund Freud, Drei Abhandlungen zur sexualtheorie, Franz Deuticke, Leipzig-Wien, 1905).

La littérature et l’iconographie permettent d’appréhender le regard porté sur le lesbianisme : c’est bien souvent un regard masculin qui prédomine, et on le retrouve dans la littérature pornographique ou érotique écrite par des hommes. Le double exotisme spatial et temporel, associé à des pratiques amoureuses et sexuelles qui, par définition, excluent ces hommes, est donc suffisamment chargé d’altérité pour provoquer chez eux des poétiques touchant à la rêverie mais aussi au voyeurisme. Les vers que Baudelaire consacre à Lesbos en sont un témoignage assez flagrant :

Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses,
Qui font qu’à leurs miroirs, stérile volupté,
Les filles aux yeux creux, de leur corps amoureuses,
Caressent les fruits mûrs de leur nubilité

(Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Paris, Poulet-Malassis et De Broise libraires-éditeurs, 1857, p. 188)

Le regard masculin, parfois fasciné, souvent voyeuriste, est ce qui nous vient le plus directement à l’esprit lorsque l’on associe la notion d’homosexualité féminine à celles de « mythe » et de « représentation ». La sexualité lesbienne est également associée à des récits de transgression des genres, avec travestissement et/ou changement de sexe. En témoignent par exemple le mythe d’Iphis et Ianthé repris par Ovide dans Les Métamorphoses, Le Roman de Silence de Heldris de Cornouailles (XIII ͤ siècle), ou encore Orlando de Virginia Woolf (1928). Du XVIII ͤ au XIX ͤ siècle, romans et poèmes attestent de la fascination qu’exerce ce type de relation sur les écrivains et poètes, comme le montrent La Religieuse de Diderot (1760), La Fille aux yeux d’or de Balzac, Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier (1835) ou « Les Femmes damnées » de Baudelaire (1857). Le regard peut être curieux, moral, allusif, mais reste soumis à la censure.

Au début du XX ͤ siècle, la médecine s’attache à corriger cette « déviance », car l’homosexualité, masculine ou féminine, est alors considérée comme une maladie. Mais, peu à peu, les femmes (re)prennent la parole sur une réalité qui les concerne. Georges Sand ou Colette ont abordé la question des amours entre femmes et Liane de Pougy publie en 1906, L’amour saphique à travers les âges. Au début du XX ͤ siècle émerge une communauté lesbienne plus visible qui se regroupe dans des salons littéraires animés par Gertrude Stein ou Nathalie Barney. À cette période, le lesbianisme commence à être écrit par des femmes. Cependant, il faudra encore attendre les années 1960-1970 pour que cette parole soit associée au mouvement féministe.

Ainsi, il serait erroné de penser que les représentations culturelles du lesbianisme ne sont que des constructions masculines marquées par un regard étranger au phénomène dépeint. Cela reviendrait à exclure des représentations plus « internes » de l’homosexualité féminine, celles d’autrices parmi lesquelles on trouve notamment Radclyffe Hall, Qiu Miaojin, Renée Vivien ou encore Virginie Despentes. Leur production artistique, bien qu’émancipée du cumul des altérités précédemment évoqué, n’en produit pas moins des discours orientant nos perceptions du lesbianisme. Et nous sommes peut-être même en droit de penser que ces nouvelles représentations culturelles, ces perceptions internes sur l’homosexualité féminine seront, si ce n’est pas déjà le cas, génitrices de nouveaux mythes supplantant les anciens, et avec eux leurs héritages culturels et sémantiques.

Notre hypothèse est donc que la littérature a formé en son sein deux foyers de représentations artistiques : celui engendré par le regard extérieur, masculin, qui projette son imaginaire sur ce à quoi il ne peut participer ; et celui plus autoréflexif, féminin, en quête d’un espace de parole qui s’ouvre à lui progressivement. Nous nous interrogerons sur les modalités de ces regards, c’est à dire à la fois sur les procédés créatifs qu’ils mettent en jeu et sur leurs conséquences sur notre perception et notre réception de l’homosexualité féminine.

Problématiques possibles

  • Le mythe de Sapho, fécond pour notre imaginaire : sur quoi repose-t-il ? Sur une réalité littéraire ou sur un regard rétrospectif déformé ?
  • Balzac, Gautier, Gide etc. : en quoi les regards masculins portés sur l’homosexualité féminine ont-ils déterminé notre perception du lesbianisme ?
  • D’Emily Dickinson à Virginie Despentes, de Moderata Fonte à Colette : quelles sont les femmes de lettres qui ont orienté les représentations culturelles du lesbianisme ?
  • Lesbophilie, lesbophobie : comment la réception sociale du lesbianisme a-t-elle pu être orientée par les milieux littéraires et leurs productions ?
  • Comment expliquer la différence de traitement littéraire entre l’homosexualité masculine et l’homosexualité féminine, l’exploitation de l’une a-t-elle pu invisibiliser l’autre ?
  • Du théâtre cri de Tomson Highway à la ku’er wenxue taïwanaise : la mondialisation des représentations culturelles conduit-elle à une unicité des regards portés sur le lesbianisme ?
  • Littérature et intermédialité : le male gaze du milieu audiovisuel naît-il de la littérature ? Quels procédés en sont hérités ? Quid d’un female gaze ?

Suggestions bibliographiques

  • BOEHRINGER Sandra, L’homosexualité féminine dans l’Antiquité grecque et romaine, Les Belles Lettres, Paris, 2007.
  • BONNET Marie-Josèphe, Les relations amoureuses entre les femmes ; XVI ͤ au XX ͤ siècle, Éditions Odile Jacob, 2001-2022.
  • BONNET Marie-Josèphe, Les Deux Amies : Essai sur le couple de femmes dans l’art, Éditions Blanche, Paris, 2000.
  • DEBROSSE Anne, « Cingler vers Mytilène : comment Lesbos devint la patrie des poétesses grecques », Semitica et Classica, 2013, 6, p. 61-71.
  • DEBROSSE Anne, « La réception des poétesses grecques, ou les affabulations de “l’imagination combleuse” » Anabases - Traditions et réceptions de l’Antiquité, 2015, 21, p. 253-262.
  • GOUGELMANN Stéphane, ROULIN Jean-Marie, Écrire les homosexualités au XIX ͤ siècle, Presses Universitaires du Midi, Toulouse, 2020.
  • LAMOUREUX Diane, « De la tragédie à la rébellion : le lesbianisme à travers l’expérience du féminisme radical », Tumultes, 2003/2-1-2004 (n° 21-22), p.251-263.
  • NEWTON Esther, « Le mythe de la lesbienne masculin : Radclyffe Hall et la Nouvelle Femme », Cahiers du Genre, 2008/2 (n° 45), p. 15-42.
  • TAMAGNE Florence, « L’identité lesbienne : une construction différée et différenciée ? », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 84, 2001, p. 45-57.
  • WU Chia-Chen, La vie est traversée par le langage : Étude sur l’évolution de l’identité et la configuration de l’écriture dans les romans de Qiu Miaojin, thèse de doctorat en Sciences du Langage, sous la direction d’Alain Peyraube, EHESS, Paris, 2016.

Informations pratiques

Journée d’étude « Sexualités lesbiennes : mythes et représentations », Nantes Université, 17 avril 2024

Organisateurs : les étudiantes et étudiants de première année de Master en Littérature Française et Comparée (Nantes Université) sous la direction de Nathalie Grande

Les propositions de communication doivent être adressées à :
marie-christine.lucas@etu-univ-nantes.fr
alexandre.lebreton@etu-univ-nantes.fr
nathalie.grande@univ-nantes.fr

Contenu requis pour la soumission : titre et résumé de la problématique et présentation du corpus en 6 lignes. Merci de joindre quelques éléments bio-bibliographiques.

Date limite de soumission : 15 mars 2024




À propos :

Nathalie Grande

Professeure des universités - Littérature française du XVIIe siècle

Société et littérature au Grand Siècle ; la galanterie ; les écrivaines du XVIIe siècle : oeuvres, biographies et réception ; fictions narratives : romans, nouvelles historiques, histoires tragiques, contes...

Courrier électronique : Nathalie Grande


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