Armance est, à la fois, le premier roman de Stendhal et peut-être, singulièrement, le plus abouti et le plus retors. Dès lors qu’elle fonctionne (ou fait mine de fonctionner) comme un grand cryptogramme, l’aventure invite toujours à un “supplément d’enquête”, à une écoute nouvelle du scandale de son silence, à une auscultation renouvelée des “signes” qui la scandent. Apparemment, le roman repose sur une liponymie : le secret d’Octave n’y est jamais dévoilé. Mais en fait rien, dans Armance, n’est vraiment ou radicalement tu. D’un côté, l’énigme est sur-dramatisée : elle mixe le “fatal” du tragique, le “bizarre” du fantastique et l’“affreux” de l’éthique. De l’autre, elle déplace sans cesse son “fin mot” (maladie, crime, misanthropie, philosophie, position socio-politique, mysticisme allemand, impassibilité anglaise, et jusqu’à une conjonction : « ce mais affreux »). Le ratage d’un trait définitoire définitif ou “décisif” affole le discours, qui redevient dis-cursus, se met à “courir çà et là”. Le fiasco définitionnel compromet l’aventure dans des bifurcations incessantes, il rend l’intrigue littéralement imprévisible, ce dont, d’ailleurs, se vante le héros : « Voilà de ces folies, pensait-il, que jamais on ne prévoirait ». De telles folies ne font, évidemment, qu’attiser le désir d’interprétation. Armance oblige à recourir à l’herméneutique, à la rhétorique, voire à la mantique : le texte même y incite, en assurant la mise en scène d’un destin.
Enquête en Armancie , Grenoble, ELLUG, Coll. « Bibliothèque stendhalienne et Romantique », 2005, 252 p.