La poésie (ou la poétique) verlainienne est, comme on sait, sempiternellement « raccrochée » à la peinture et à la (petite) musique. La faute à Verlaine lui-même. Et ce ne sont pas des titres comme Les Fêtes galantes (référence à Watteau) et comme Romances sans paroles (renvoi à Mendelssohn) qui vont infirmer l’« évidence » de ces correspondances. Il s’agit ici, au risque d’une lapalissade qui pourrait bien passer pour un paradoxe, de remettre en question ces « analogies » : Verlaine, c’est aussi (et d’abord) de la langue et du style (ce qui n’empêche en rien les interférences).
Cependant, sur Verlaine, une légende continue encore à courir : celle de la « légèreté » d’une écriture a-rhétorique. Alors que le « Mythe de Rimbaud » repose sur une Complexité qu’il faudrait relativiser voire dénier (comme le voulait Etiemble), le « Mythe de Verlaine » se fonde sur une Simplicité qu’il faudrait respecter – les deux techniques, qui reviennent au même, entraînent dans les délices de la sous-interprétation. La fable d’un discours qui échapperait à l’analyse a, de fait, de quoi être mise en doute : la stylisation n’est pas l’absence de style, au contraire (ce serait plutôt sa quintessence).
Le style-Verlaine s’étaie sur des procédés insidieusement et peut-être dangereusement simples. Le « Pauvre Lélian » montre, quasi démontre que subtilité et gaucherie ne s’excluent pas nécessairement, loin de là. Et c’est au prix des pires imprudences : une ligne de démarcation à peine perceptible, parfois, sépare le naïf et le retors, la simplification impressionniste et la stylisation sophistiquée, l’illusion sentimentale et les allusions obscènes, le souci philologique et le clin d’œil intertextuel, l’exigence éthique ou politique et le « mode mineur », la feinte erreur et l’heureuse faute – le faux imprécis et l’indécis vrai.
Steve Murphy, Georges Kliebenstein, Verlaine. Poëmes saturniens, Fêtes galantes, Romances sans paroles, Neuilly, Atlande, coll. « Clefs Concours », 2007