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Traducteurs dans l’histoire, traducteurs en guerre

N°5 de la revue Atlantide

jeudi 1er septembre 2016, par Christine Lombez

Le numéro 5 de la revue « Atlantide » vient de paraître. L’ambition de ce numéro intitulé « Traducteurs dans l’histoire, traducteurs en guerre » et dirigé par Christine Lombez "est d’évoquer, grâce à une série d’études de cas , le destin souvent tumultueux de ces passeurs, de faire apparaître quelques traits précis de leurs liaisons parfois dangereuses avec la politique, et de souligner de facto l’importance du rôle historique (voire même idéologique) joué par les traducteurs dans un passé récent ou plus ancien.

Ainsi dans « Le génie des langues, notion poétique ou politique ? », Claire Placial pose-t-elle, à l’aide de l’exemple de la traduction de textes bibliques d’hébreu en français, une question des plus épineuses. Non dénuée d’impensés idéologiques, politiques et même racistes, cette notion de « génie des langues » sous-tendant parfois certains gestes traductifs fut véhiculée par les traducteurs des Écritures depuis la Réforme jusqu’au XIXe siècle.

Avec « Clément Pansaers et la traduction de la littérature expressionniste dans la revue Résurrection (1917-1918). Un transfert culturel franco-allemand en Belgique occupée », Hubert Roland s’intéresse au cas atypique du dadaïste belge Clément Pansaers qui traduisit des auteurs expressionnistes allemands en français en Belgique occupée durant la Première Guerre mondiale. Il questionne également l’étonnante tolérance dont ces traductions firent l’objet de la part de l’Occupant allemand en dépit de la ligne clairement pacifiste et internationaliste de la revue Résurrection dans laquelle elles parurent.

Toujours durant la Grande Guerre, l’étude d’Amélie Auzoux sur « André Gide et Valery Larbaud, deux traducteurs en guerre (1914-18) » permet d’apprécier à quel point la traduction put se révéler une arme redoutablement efficace pour Larbaud et Gide afin de promouvoir, en temps de conflit, une passionnée « défense et illustration de la langue française ».

D’une guerre à l’autre, les traductions du XXe siècle demeurèrent au centre de l’intérêt des vainqueurs qui y voyaient un moyen subtil de rééducation des territoires conquis. La nature et l’ampleur de cette emprise idéologique sont discutées par Alexis Tautou à travers l’exemple du poète germanophone R. M. Rilke (« Traduire et éditer Rainer Maria Rilke sous l’Occupation ») dont on découvre qu’il fut un auteur emblématique tenu pourtant en suspicion par l’Occupant allemand en raison de ses positions trop cosmopolites, de sa francophilie, et surtout de ses origines tchèques.

Que la traduction puisse être récupérée et orientée à des fins politiques ou idéologiques ressort on ne peut plus clairement des travaux présentés par Yanna Guo (« Michelle Loi, une combattante comme ça. Portrait d’une traductrice engagée de Lu Xun en France ») et Ioana Popa (« Traduction et sédition. Circulations clandestines transnationales des œuvres en contexte non démocratique »). Le destin de l’écrivain Lu Xun, érigé bien malgré lui en icône de la Chine communiste, dont l’œuvre en traduction française fut ensuite orientée dans un sens maoïste par Michelle Loi (elle-même très marquée politiquement), permet de se faire une idée de la responsabilité des traducteurs dans un contexte idéologiquement surdéterminé. À rebours, à l’époque de la Guerre froide et jusqu’à la chute du mur de Berlin, la traduction put se révéler un moyen efficace pour miner des idéologies dominantes comme le démontre Ioana Popa. C’est en effet par la circulation souvent illicite de textes traduits à l’aide de circuits de diffusion clandestins et/ou périphériques, que certains auteurs du bloc socialiste (Boris Pasternak, Bohumil Hrabal), réduits au silence dans leurs pays respectifs, purent faire connaître leur œuvre en Occident et y trouvèrent, au moyen de la traduction, une légitimation symbolique valant claire dénonciation des régimes totalitaires en place.

Même si elle a été souvent considérée comme une activité marginale, à la visibilité réduite, ou peut-être justement grâce à ce fait même, la traduction — et ses acteurs — s’est bel et bien révélée au fil des siècles un instrument de transmission redoutable car potentiellement manipulable, une « 4e arme » de plein droit (Eva Gravensten), dont l’impact historique et idéologique n’est plus à sous-estimer. (Extrait de l’avant-propos de Christine Lombez)

Au sommaire

  • CHRISTINE LOMBEZ – Avant-propos
  • CLAIRE PLACIAL – Le génie des langues, notion poétique ou politique ?
  • HUBERT ROLAND – Clément Pansaers et la traduction de la littérature expressionniste dans la revue Résurrection (1917-1918). Un transfert culturel franco-allemand en Belgique occupée
  • AMELIE AUZOUX – André Gide et Valery Larbaud : deux traducteurs en guerre (1914-1918)
  • ALEXIS TAUTOU – Traduire et éditer Rainer Maria Rilke sous l’Occupation
  • ANNA GUO – Michelle Loi, une combattante comme ça. Portrait d’une traductrice engagée de Lu Xun en France
  • IOANA POPA – Traduction et sédition. Circulations transnationales clandestines des œuvres en contexte non démocratique

Revue en accès libre et gratuit : http://atlantide.univ-nantes.fr/




À propos de l'auteur

Christine Lombez

Professeur de Littérature comparée, Membre senior honoraire de l’Institut Universitaire de France

PI (Principal Investigator) du programme ERC Advanced Grant « TranslAtWar »

Histoire et théories de la traduction, poésie et traduction, politique et traduction, traductions en temps de guerre

Voir en ligne : https://translatwar-erc.eu

Courrier électronique : Christine Lombez


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