Présentation
La possibilité de dire la catastrophe et la guerre et les modalités de leur représentation se trouvent au cœur de questionnements actuels au point d’avoir donné naissance à un courant critique, les trauma studies. La mise en fiction des traumatismes engendrés par des scènes violentes, qu’elles soient privées ou nationales, prend souvent la forme du récit et/ou du témoignage, selon le degré désiré de vérité. Or, il nous semble important de prendre également en considération le genre théâtral dans ses moyens spécifiques d’interrogation et de réponse aux traumatismes. Outre la pièce de Vinaver 11 septembre, nous pourrions penser aux travaux du collectif « Groupov » sur le génocide rwandais et d’Isabelle Lafon sur les textes de J. Hatzfeld (Igishanga), mais encore à Tableau d’une exécution d’Howard Barker, concepteur du « théâtre de la catastrophe », ou au spectacle Notre terreur (centré sur la chute de Robespierre) par le collectif « D’ores et déjà ». L’inventaire n’est bien sûr pas exhaustif mais fait apparaître, aux XXe et XXIe siècles, un intérêt poussé pour l’aptitude du théâtre à relayer la parole traumatique, de façon distanciée et/ou faussement documentaire. Toutefois, la réflexion portée par le théâtre dans les siècles passés n’a pas perdu de pertinence : ainsi, dans Zaïre (1732), Voltaire ne met-il pas en scène, à travers le destin de son héroïne, l’impossible dépassement de l’injonction « Tu te souviendras » ? On pourra également penser aux pièces prenant en charge, en Angleterre et en France à la fin du XVIe siècle, l’épisode sanglant de la Saint Barthélémy et se demander comment le théâtre peut assimiler et restituer une violence toute contemporaine. Pareille mise en scène de l’histoire récente ouvre des perspectives de dialogue entre le théâtre des siècles dits « anciens » et le théâtre des XXe et XXIe siècles.
Dans son ouvrage La Mémoire, l’histoire, l’oubli (2000), le philosophe Paul Ricœur réfléchit à l’ambiguïté de notre rapport individuel à la mémoire collective et à l’histoire. Dans le domaine de la justice, l’intimation à se souvenir trouve une forme de légitimité parce qu’elle répond au sentiment de dette à l’égard d’un autre que soi et qu’elle traduit un souci des victimes. Mais Ricœur nous met en garde contre la « mémoire blessée », revendiquant le droit à la commémoration et refusant coûte que coûte l’oubli. En s’emparant d’un traumatisme, récent ou un peu plus lointain, à quel usage de la mémoire le théâtre exhorte-t-il le spectateur ? La fiction théâtrale élabore-t-elle un rapport particulier à l’histoire récente, qui se distingue des autres écrits historiographiques ou documentaires ? Le rôle donné au théâtre dans son rapport au réel mérite un examen qui soit attentif à ses particularités et aux discours, explicites ou tacites, qui le sous-tendent. L’écriture théâtrale s’inscrit-elle dans une stratégie propagandiste ou politique, cherche-t-elle à livrer une voix irréductible aux discours plus officiels ? Dans son essai Histoire, Théâtre et Politique (2009), Gérard Noiriel en appelait au dialogue entre théâtre et sciences humaines pour conjurer les dérives du « post-modernisme », qui imprégnerait le théâtre d’Edward Bond : « Le postmodernisme apparaît ici comme l’ultime philosophie de l’Histoire, celle qui érige sa propre impuissance en norme universelle ». Les œuvres contemporaines témoignent-elles d’un tel renoncement ? Les pièces plus anciennes traduisent-elles une forme de sidération comparable ?
Programme :
Mercredi 18 novembre
14h 30
Mots de bienvenue, accueil des participants
Introduction du colloque
Le théâtre, avec ou contre le document ?
15h15
Juliette MÉZERGUES (Université de Bordeaux 3)
« Und, monologue tragique de Howard Barker ou la trace de la Shoah : une femme au cœur du théâtre de la Catastrophe »
Ulysse CAILLON (Université Lyon 2)
« Dans la solitude des témoignages : rhapsoder la mémoire des traumatismes dans le théâtre de Pippo Delbono »
16h15
Discussion et Pause
16h 45
Échange avec Valentin Pasgrimaud, de la troupe « Les Maladroits ».
19h
Spectacle : représentation de Frère(s), théâtre d’objet documentaire sur la guerre civile espagnole, par la compagnie les Maladroits au Studio Théâtre.
Jeudi 19 novembre 2015
Détours de la représentation. Éloignement, oubli et hantise
9h
Tiphaine KARSENTI (Université Paris Ouest Nanterre)
« Le traumatisme troyen sur scène et les conflits contemporains (XVIe-XVIIe siècles) »
Tiphaine POCQUET (Université de la Sorbonne Nouvelle)
« Amnistie et amnésie en 1629, deux figures de rois qui oublient »
10h
Discussion et pause
10h30
Martin NADEAU (Université du Québec, Montréal, Canada)
« Autour des représentations de la Saint-Barthélémy : entre la mémoire du traumatisme et la tragédie de l’actualité révolutionnaire »
Thibaut JULIAN (Université Paris-Sorbonne)
« « Les feux couverts d’une cendre trompeuse ». Blessures et hantises de l’histoire nationale dans le théâtre révolutionnaire »
Stéphane POLIAKOV (Université Paris 8 Vincennes-Saint Denis)
« Blessures niées, blessures détournées. Le cas russe dans le théâtre et les arts au XXe siècle »
12h
Discussion
L’inscription du traumatisme dans les corps
14h
Nathalie COUTELET (Université Paris 8 Vincennes-Saint Denis)
« Les traumatismes physiques et moraux de la Grande Guerre dans les pièces de Philippe Fauré-Frémiet : pour une humanité nouvelle »
Zoé SCHWEITZER (Université Jean Monnet, Saint Étienne)
« Yasser Mroué ou la mémoire jumelle »
Brigitte JOINNAULT (Université de Nice Sophia-Antipolis)
« Des Quarante jours du Musa Dagh de Franz Werfel au Cercle de l’ombre mis en scène par Hovnatan Avédikian. Histoire et esthétique »
15h30 : Discussion et pause
16h : Échange avec Colyne Morange et la « Stomach Company » à propos de leur spectacle Des Bords de Rond-Point
Vendredi 20 novembre 2015
Trouver la bonne distance : éloignement ou proximité
9h
Ouafae EL MANSOURI (Université Paris 8 Vincennes-Saint Denis)
« Au plus près de la blessure : présences du massacre de la Saint-Barthélémy dans Coligny (1740) de Baculard d’Arnaud et Jean Hennuyer (1772) de Mercier »
Hélène BEAUCHAMP (Université de Toulouse Jean Jaurès)
« Des blessures de la guerre à la mémoire critique d’une patrie : les théâtres d’exil de Max Aub et Rafael Alberti »
10h Discussion et pause
10h30
Marianne NOUJAIM (Université Libanaise, Liban)
« Souvenirs de guerres libanaises au théâtre : entre incendie et autopsie »
Florence LHOTE (Université Libre de Bruxelles)
« Entre distance et contemporain, la Mémoire de la guerre d’Algérie par Aziz Chouaki »
11h30
Discussion
11h45
Déjeuner
La thérapie par le théâtre ? Du côté des victimes et des témoins
13h30
Anne TEULADE (Université de Nantes – IUF)
« Après la captivité à Alger : travail fictionnel et sens de l’expérience dans le théâtre de Cervantès »
Valérie DUSAILLANT-FERNANDES (Université de Waterloo, Ontario, Canada)
« Le viol de guerre vu par les dramaturges africains Koffi Kwahulé et Gustave Akakpo »
Nathalie CAU (Université Paris-Ouest Nanterre)
« Représenter la catastrophe dans l’immédiat après-guerre, le Kazet-Teater et le MYKT (1945-1948) »
15h Discussion et pause
15h30 Conclusions : Christian BIET (Université Paris Ouest Nanterre)