Ce travail étudie le style philosophique de Tocqueville dans l’« œuvre de pensée » qu’est De la Démocratie en Amérique (1835-1840). La double position de Tocqueville, penseur et homme politique, engage une rhétorique particulière à ce traité, qui met en forme le « type idéal » des démocraties à venir tout en définissant la ligne politique à tenir pour la France contemporaine dans la transition démocratique. Les deux livres de la Démocratie ont vocation à éclairer (c’est l’héritage de la philosophie des Lumières) un lecteur devenu citoyen et acteur politique. La prose tocquevillienne échappe cependant au didactisme, car Tocqueville, qui sait par ailleurs mettre très consciemment les lieux communs de l’éloquence traditionnelle au service de sa cause, formule aussi l’énigme démocratique, énigme du peuple, énigme d’une histoire ouverte, par le paradoxe et grâce à une poétique du « tableau de pensée ». Les métaphores du fleuve et du cercle, l’ironie tocquevillienne traduisent ici la distance, là la « terreur » de l’observateur face à l’objet qu’il étudie. Dans cette enquête, qui met également au jour une philosophie du langage propre à Tocqueville, forme et fond sont indissolublement liés. La sémantique, les stratégies discursives, la syntaxe tocquevillienne sont analysées et comparées aux écritures contemporaines, classiques ou romantiques. Ce qu’elle révèle, c’est que Tocqueville, écrivain et moniteur « démocratique », n’est pas modérément démocrate mais démocrate modéré, engagé pour une pédagogie politique, mais conscient des limites d’une culture politique démocratique.
► Laurence Guellec, Tocqueville et les langages de la démocratie, Paris, Honoré Champion, 2004, https://www.honorechampion.com/fr/e...