Il est bien connu que Louis XIV a mis en place une politique culturelle férocement centralisatrice, donnant naissance à deux grandes institutions qui détiennent un privilège (avantage d’exclusivité possédé par un groupe par concession royale) : L’Académie royale de musique (Opéra) créée en 1669 et la Comédie-Française créée en 1680 (deux institutions qui existent encore aujourd’hui). Or d’autres spectacles réussissent à exister et à se maintenir, en dehors de ce système de privilège, qu’on appelle "les théâtres de
la Foire" : depuis le XVIIe, par intermittence, des troupes jouent pendant les grands marchés que sont la Foire Saint-Germain (février-mars) et la Foire Saint-Laurent (juillet à septembre). Parce qu’ils sont exclus du système de théâtres privilégiés que met en place Louis XIV, les artistes forains vont connaître, selon des modes différents, des crises majeures. Les spectacles forains se développent et subissent les attaques et procès de l’institution : théâtres détruits à coups de hache, interdiction de jouer des pièces, puis d’employer des dialogues, puis même les monologues, puis le chant, multiplication des procès... Ils devront de plus affronter la censure théâtrale, instituée en France en 1706. Ces théâtres, par leur résistance et leur inventivité, vont cependant prendre une ampleur considérable et bouleverser le paysage culturel.
Ce vaste pan du patrimoine culturel français a longtemps été méconnu et sous-estimé pour des raisons matérielles (sources dispersées, archives manuscrites, manuscrits anonymes) et idéologiques (mépris et défiance à l’égard d’un théâtre dit populaire et parfois subversif). Pourtant, si aujourd’hui les savants s’accordent à reconnaître l’importance de ces théâtres marginaux, et y voient une des origines de la culture populaire de masse, la connaissance du répertoire reste fragmentaire, d’une part parce que peu de pièces sont éditées et accessibles, qui ne sont pas représentatives de la diversité ; d’autre part parce que l’histoire précise des interdictions, de la répression et de l’invention des nouvelles formes n’est pas clairement écrite. Ce sont ces deux lacunes que ce projet doctoral entend combler, à l’heure où l’intérêt pour le théâtre des marges ne cesse de croître.
L’objectif d’une thèse portant sur ces théâtres marginaux sera d’étudier comment la contrainte, le contexte de répression et la censure ont paradoxalement favorisé l’émergence de nouvelles formes extrêmement originales, qui ont des échos aujourd’hui, dont il faudra fournir une édition, une analyse esthétique et contextuelle, assortie d’une mise en perspective historique appuyée sur l’histoire détaillée des interdictions.