Une journée qui compte pour toutes celles du calendrier : le 16 juin 1904. Un lieu qui vaut pour tous les lieux de la terre : Dublin. Une histoire qui comprend l’ensemble des fictions qui furent ou qui seront racontées : l’Odyssée d’Homère. Un héros qui est tout le monde puisque son nom est : Personne. Un jour, une ville, une histoire, un héros : personne vit les aventures de tout le monde en un lieu qui se situe nulle part comme il pourrait se trouver n’importe où, au cours de quelques heures aussi longues qu’un siècle et brèves autant qu’un instant. Comme tous les grands artistes, de livre en livre, quel que soit le genre littéraire dont chaque nouveau texte simule l’apparence, Joyce n’écrit jamais que le récit de sa vie. Et s’il lui donne la forme d’un roman, c’est parce que cette forme seule est susceptible de contenir, d’accomplir et d’exténuer toutes les autres, et de permettre ce passage perpétuel de la vie au livre, du livre à la vie, mouvement de vases communicants qui est l’objet exclusif de l’opération à laquelle il consacre ses jours : lisant sa vie, vivant son livre, à mesure qu’il l’écrit. Suivant de chapitre en chapitre le grand roman de James Joyce, Ulysse, Philippe Forest le considère à la manière d’un portrait réfléchissant le visage de l’auteur et celui du lecteur, la figure de personne comme celle de chacun.
Philippe Forest, Beaucoup de jours : D’après Ulysse de James Joyce, Nantes, Editions Cécile Defaut, 465 p.