Le genre hagiographique est plutôt méconnu en France. En revanche, il est très répandu en Espagne. La connaissance qu’Anne Teulade a de l’univers hispanique lui permet une enquête intéressante et novatrice : interroger les limites du représentable au théâtre, en particulier en ce qui concerne la sainteté. Si l’enquête se nourrit des richesses de ce genre au XVIIe siècle, les conclusions vont bien au-delà et dialoguent avec le meilleur du théâtre contemporain.
La sainteté, en effet, ne semble pas se prêter aisément à la mise en scène… Comment représenter la perfection ou la vie du saint, son caractère ascétique ? Ou encore, comment transposer à la scène la violence du martyre, la mise mort sanglante ? Comment exprimer le merveilleux divin ou l’invisible de la spiritualité intérieure ?
Autant de défis qu’explore l’auteure dans ce livre original et suggestif. Le Saint mis en scène s’intéresse d’abord aux polémiques religieuses et théoriques soulevées par l’art scénique, avant d’examiner tous les problèmes dramaturgiques attachés à ces personnages sans passion, ainsi que l’articulation délicate entre poétique profane et idéologie religieuse. Vient ensuite le traitement de l’extériorisation scénique d’une foi tout intérieure et de la figuration de l’invisible divin. Le lecteur découvrira que ces œuvres, situées aux marges de l’art théâtral, prennent en charge une réflexion sur la représentation, dans des dispositifs jouant sur le démontage de l’image et la distance intégrée dans la fiction.
Le type de théâtre abordé ici apparaît comme un genre « limite », débordant tant la pensée théologique que la pensée dramatique. On peut pour cela le tenir pour anachronique voire sans véritable débouché. Erreur ! Les dramaturges du XVIIe siècle ont tracé un sillon à la fois marginal par rapport au théâtre profane et susceptible d’en interroger les fondements. Parce qu’il propose une pensée de l’illusion mimétique et un élargissement de ses potentialités, ce théâtre recèle une dimension réflexive inattendue. Loin d’être de simples survivances des Passions et des Mystères médiévaux, les pièces hagiographiques du XVIIe siècle inventent des stratégies d’écriture novatrices, qui recevront d’ailleurs une reconnaissance indirecte lorsque Brecht ou Claudel valoriseront la forme épique ou la représentation de la transcendance au théâtre.
Agrégée de lettres modernes et docteur en littérature comparée, Anne Teulade est maître de conférences à l’Université de Nantes.
Anne Teulade, Le Saint mis en scène. Un personnage paradoxal, Paris, Cerf, coll. « Littérature », 2012.
Table des matières
Introduction. Anachronismes, débordements et apories
Chapitre 1. Tensions dans le champ théâtral : l’émergence problématique d’un genre
Situations
Dénominations
Polémiques
Théorisations
Chapitre 2. Sainteté et dramaturgie : l’action impossible ?
Conflits : le saint rebelle au pouvoir politique
Persécutions : le saint assailli par les passions d’autrui
Conversions : un saint en mouvement
Epreuves : la geste de la vertu
Chapitre 3. Du modèle tragique au modèle pictural : l’exemplarité religieuse
Préférences
Le modèle tragique et l’atténuation des enjeux religieux
L’édification par l’exemple : vers un théâtre didactique
Edification et dévotion : la double efficacité religieuse de l’esthétique picturale
Chapitre 4. La transparence et le masque : identité et théâtralité
Sémiotique de la vertu : habiller les corps, révéler les âmes
Rhétorique de la vertu : ostentation et résistance
Le théâtre du vice, ou la vertu irreprésentable
L’intérieur et l’extérieur
Chapitre 5. Le visible et l’invisible : du surnaturel et du spirituel dans le théâtre
Le représentable : délimitations théoriciennes et théologiques
Le merveilleux exhibé dans la comedia de santos
Les ambiguïtés du visible dans la tragédie chrétienne
Figurations : au-delà de la mimesis
Chapitre 6. Métaphysique du spectacle : vers une mimesis des idées ?
Platon, Augustin, le saint : une triade contre l’illusion dramatique ?
L’interprétation dans la fiction : pour une modulation de la réception théâtrale
Montages et travail sur l’image : métamorphose du regard
D’une nouvelle séduction théâtrale : l’adhésion sans identification
Conclusion. Un « sentier de contrebande »
Bibliographie
Index des œuvres citées
Table des matières