En brouillant les normes du Beau et du Laid, le grotesque romantique fut à l’origine du formidable renouveau esthétique qui eut lieu à partir de 1800. Par le grotesque, les romantiques se sont forgé un langage spécifique en puisant dans un large réservoir d’images et de symboles venus du carnaval médiéval, des arabesques renaissantes et baroques, des grands peintres et graveurs (Bruegel, Callot, Goya), de la commedia dell’arte. Toute une typologie moderne du fou et du bouffon, de l’idiot et de l’innocent s’est élaborée à partir d’archétypes subtilement revisités par l’ironie romantique : la Narrheit médiévale et la folie-sagesse érasmienne participent à la théorisation moderne du Witz et de l’humour philosophique. Par ce biais, le Romantisme a ouvert des espaces de liberté pour la théorie de l’humour et du comique d’un côté, du beau et du sublime de l’autre. Le lien conservé avec les sources anciennes du grotesque apparaît alors comme le support de l’un des grands projets du Romantisme selon Friedrich Schlegel : l’élaboration d’une nouvelle mythologie. Dans ce cadre, l’arabesque joue un rôle déterminant. Devenue un symbole du spirituel, de la fonction de sublimation de l’imagination, cette arabesque qui a tant fasciné Friedrich Schlegel, Edgar Poe et Baudelaire, confère au grotesque romantique son pouvoir de transfiguration. Et elle le réintègre dans la sphère mouvante et élargie du Beau.
Dominique Peyrache-Leborgne, Grotesques et arabesques dans le récit romantique. De Jean Paul à Victor Hugo, Paris, Honoré Champion, coll. « Bibliothèque de littérature générale et comparée », 2012.