Dans le sens où ils inscrivent et problématisent une aventure individuelle dans un devenir historique, les romans très divers sur lesquels se sont penchés les co-auteurs de cet ouvrage sont bien des romans historiques, mais la perspective qu’ils ont retenue n’est pas à proprement parler celle du genre. Elle est, plus largement, celle d’une confrontation entre écriture romanesque et écriture historique. Un thème a été proposé aux critiques contribuant à cette réflexion : celui de la marge. Dans le roman historique, entre roman et histoire, où est la marge, et où est le centre ? Ou, si l’on préfère, entre écriture romanesque et écriture historique, quelle forme commande à l’autre, et comment ? A la mesure de la question posée, les réponses sont complexes et les domaines parfois se chevauchent. Cependant, dans la tension entre ces deux grands régimes de récit, deux tendances se distinguent qui voient les pôles eux-mêmes, significativement, s’inverser. Le « roman historique » semble d’abord s’installer dans la marge de l’histoire qui occupe, elle, le centre. Il s’accorde à elle, se glisse dans ses interstices, la prolonge sur un autre mode qui n’est pas celui de la subordination, mais de la concordance, ou de la consonance. Mais bientôt, par rapport à l’histoire établie, le roman se fait critique, propose un autre système de valeurs, ou une autre manière d’appréhender le réel. Il assume alors la spécificité de sa vision, se place au centre, refoule l’histoire, sous forme de notes ou de documents, aux marges de la fiction. Il arrive même qu’il se joue des données les plus sûres de l’historiographie, et se mette à réécrire, par jeu, mais aussi « pour voir », une autre histoire. Faute de pouvoir se débarrasser de l’histoire, il lui importe alors de la rejouer, mais dans la dissonance.
Dominique Peyrache-Leborgne, André Peyronie (dir.), Le romanesque et l’historique, Editions Cécile Defaut, coll. « Horizons Comparatistes », 2010.