Le poème de Lucrèce (98 ou 94 av. J.C- 55 av. J.C.) est un des textes fondateurs de la philosophie en Occident. Car Lucrèce s’y montre plus qu’un simple sectateur d’Épicure : disciple fécond, il est comme le refondateur à Rome de l’épicurisme athénien. Loin de se présenter comme un système rigoureusement ordonné par des prémisses ou dicté par des axiomes, cette philosophie n’a d’autre but que l’apaisement moral de l’homme, plutôt que la connaissance du monde. Il revient à Lucrèce d’exposer en savant une doctrine fondée
dans la langue grecque. Il déplore l’indigence du latin qui le contraint à inventer des mots nouveaux : ainsi l’atome devient-il, dans son raisonnement poétique, « les éléments premiers des choses ».
Tout au long des siècles, une fois ce poème redécouvert au début de la Renaissance italienne, La Nature des choses n’a cessé d’être une référence philosophique. Qu’on lise, au dernier livre, les passages consacrés à la peste. La peste est un argument que toute
théodicée doit réfuter puisqu’elle pose, de manière spectaculaire, le scandale de la mort du juste et de l’innocent. Or Lucrèce ne réfute pas la peste, il s’en sert, au contraire, pour montrer l’absence de Providence, et du même coup guérir l’âme d’une maladie autrement
essentielle, la peur de la mort.
Ce qui fait scandale, ce n’est plus la peste, c’est tout simplement Lucrèce.
Lucrèce, La Nature des choses, texte traduit du latin et présenté par Jackie Pigeaud, annoté par Annick Monet et Jackie Pigeaud, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais » (n° 600), 2015, 480 p., 8€.